Irène et le petit pois

Comme on fait son lit, on se couche.
Pour commencer à s’occuper sérieusement d’elle, elle décide de se payer un lit, un vrai.

Le catalogue sous les yeux, elle appelle le magasin. Pour un tout petit supplément, elle achète le modéle en 160X190.
C’est grand, mais à partir de maintenant, il faut voir les choses comme ça.

Pour le matelas, du maintien, du ressort, de la respiration et de l’aération pour toutes les saisons. Dans un grand magasin, au dernier étage, un matelas l’attend en équilibre sur sa tranche. Il a récolté la poussière sur un coin mal protégé, dans la réserve. Une roll’s de matelas, vendu moitié prix parce que c’est le mois du blanc, et encore moitié prix pour vous parce que vous allez faire une affaire et m’en débarrasser. Livraison gratuite.

Le cadre du lit est livré, en même temps que le matelas. Ensemble, ils prennent la moitié de l’espace privé d’Irène. Ses nuits sont plus douces, ça fait déjà la moitié de sa vie.

Elle déménage pour un appartement plus grand, avec celui qui a goûté à la douceur du lit.
Mais la douceur du lit ne suffit pas. Il faut redéménager, seule avec le lit, et vite.
Elle visite un appartement. Trop petit, pas la place de mettre le lit. Le lendemain, dans un autre, ça va, ça ira.

Ses amis viennent encore l’aider à déménager. Elle donne quelques recommandations à propos du matelas, c'est pas le moment de le plier celui-là.
Dans le camion, le matelas n’a pas été traité avec les égards qui lui sont dus. Tant pis, ce n’est pas le moment de chipoter, il faut partir, aller ailleurs, vite.

Dans le petit appartement, au milieu des cartons, juste la place de monter le lit pour se reposer, dormir. Le cadre du lit, le sommier, le matelas et la couette.
Elle se couche. Au milieu du lit, dans toute sa longueur, dans son dos, une barre. Le matelas a été plié, les ressorts sont tordus, foutus. Epuisée, elle dort sur le bord du grand lit. Elle pleure.

Elle attend d’avoir l’argent pour remplacer le matelas. Ca ira. En attendant, elle cherche dans quelle position le matelas est le moins bosselé. Elle le retourne, il est lourd, neuf encore, mais il faudra le jeter puisqu’il est foutu et que le confort de ses nuits est malmené.
Au printemps, un an plus tard, elle appelle le magasin, et choisit le haut de gamme en 160x190. Livraison sous 7 jours.
Le jour de la livraison, elle appelle son voisin pour qu’il l’aide à descendre le matelas dans la rue. En sortant le matelas du cadre du lit, ils se rendent compte qu'elle a posé le sommier dans le mauvais sens. Les lattes en dessous et l’arête centrale au-dessus. La barre dans le dos, c’est elle.
Ils retournent le sommier, les lattes au-dessus. Le matelas n’a rien.

Elle reçoit le matelas neuf, et donne le matelas qui n'a rien au voisin qui est ravi puisque c'est une roll's de matelas.

Quand elle était petite, sa mère l’appelait ma princesse au petit-pois,


Photo © Bérénice Gouley - 2009, Highlands

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