Un jour de novembre, Etat d'urgence


Il y a quelques temps à Paris j’étais dehors en goguette, en paillettes, souvent.

Embringuée, embarquée, débridée. Largage des amarres pour une récolte d’émotions, de rencontres, de scènes aux couleurs mélangées et aux contours improbables. Joyeuse funambule en équilibre sur les fils de l’adrénaline tendus entre une boîte de nuit et une terrasse de café, avant de glisser dans les clameurs des salles parisiennes. A pied, à vélo, en métro, en taxi, défilé dans les lumières de la ville, les yeux fermés, ouverts, découverts, vivants, confiants.

Hier soir en sortant du Rosa, le vent d’hiver s’était levé sur la Seine et j’ai resserré mon écharpe avant d’enfourcher mon vélo. Il faisait nuit déjà. En chemin, je me suis arrêtée chez le Portugais du coin pour acheter une branche de céleri et des carottes pour la chorba. C’est ma collègue qui m’a donné la recette, celle de sa mère. Ma collègue a des cheveux magnifiques. Elle monte parfois sur le grand bar de la barge pour danser la danse du ventre, la pointe du pied tendue sur le zinc, les bras déployés, le bout des doigts posés sur l’air. Et alors sa beauté de reine antique me coupe le souffle.

Soupe partagée avec l’homme que j’aime. Douceur, chaleur, quotidien, sommeil.

Train-train de ce matin. Eau chaude, douche, chat. Contemplation. Le ciel de Paris, celui que je n’aime pas trop, avec la brume qui fait un couvercle uniforme au dessus des immeubles. Depuis deux jours, les branches des arbres posés dans le paysage de mes matins parisiens sont nues, ou presque.

Et ce texto. Est-ce que je vais bien ? Etrange cette question de si bon matin. Mais oui, et toi ? Et mon cœur, mon cœur vole en éclat en lisant sur le petit écran « Horrible » « Attentats » « Fusillés dans les rues du 11ème, 10ème et au bataclan ».

J’appelle mon amie avec qui j’aimais tant sortir, qui vit rue Bichat. Elle a passé la nuit à répondre aux messages reçus à partir de minuit. Elle me rappelle que nous avions trouvé un soir de fiesta au Bataclan par terre une liasse de billets et que ce soir-là la nuit fut encore plus folle.

Cette semaine, dans un petit square du nord de la capitale, j’ai ramassé des feuilles de ginkgo biloba. Elles sont posées là bien à plat. Dorées, toutes pareilles et toutes différentes, singulières, élancées, arrondies, épanouies, ciselées. Il y en a six.

Le Rosa est fermé. Etat d’urgence. Etat. D’urgence.

Je mets mon manteau et aujourd’hui sous ce ciel de Paris qui est encore plus bas, je vais ramasser cent quatorze autres feuilles, au moins.

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